VENDREDI 11 avril
« Avez-vous remarqué que la mort seule réveille nos sentiments ? Comme nous aimons les amis qui viennent de nous quitter, n’est-ce pas ? » constatait amèrement Albert Camus. Les hommages sont bien dérisoires et un peu égoïstes. Mais ils sont utiles à ceux qui restent à faire leur deuil. Peut-être peuvent-ils servir d’inspiration quand ils nous parlent des quelques rares dont la vie n’a été faite que de révolte, d’amour, de solidarité et de dignité. Alors parler de Michel n’est peut-être pas simplement un acte dérisoire qui me donne l’illusion d’avoir fait quelque chose quand il n’y a plus rien à faire. Peut-être qu’il s’agit d’un petit acte qui participe modestement à transmettre la mémoire de celles et ceux qui luttent comme les pierres entassées par les randonneurs sur les sentiers de montagnes témoignent de leur passage.
On ne peut pas réduire Michel à son passé familial. Bien sûr, il était le fils d’une famille de réfugiés espagnols mais son engagement n’était pas seulement mémoriel mais résolument ancré dans le présent. Les principes de liberté, d’égalité et de justice : Michel ne se contentait pas de les revendiquer, il cherchait à les inscrire dans la réalité quotidienne. Parce que la solidarité ne se proclame pas : elle se vit ou elle n’existe pas. Cela lui avait valu parfois quelques accrochages fraternels avec de vieux militants espagnols qui voulaient inviter Federica Montseny quand Michel leur disait qu’il ne fallait pas réduire la CNT aux préoccupations espagnoles. Ce qu’ils n’avaient pas compris c’est qu’il s’agissait là de l’affirmation d’une volonté : avoir comme priorité de construire une CNT française à Bordeaux, sans réduire l’anarchisme aux glorieux jours de 1936. Et lorsqu’il s’engagea tout jeune dans le militantisme, Michel a été le principal artisan de la construction du syndicat du bâtiment de la CNT française à Bordeaux. Syndicat qui mena de nombreux combats pour améliorer le sort des travailleurs, comme la grève de mai-juin 1976 qui dénonçait le travail à la tâche. Militant de l’union locale, il était là en soutien aux nombreux conflits entamés par la CNT de Bordeaux pendant les années 80 comme ceux du secteur de la santé et notamment la grève de la clinique des orangeais en octobre 1983 ou encore celle du cinéma Gaumont. Internationaliste bien sûr, il participa également à l’organisation des congrès de l’Association Internationale des Travailleurs qui se sont déroulés à Bordeaux en 1986 et 1987 et qui marquent le renouveau de l’internationale avec l’adhésion notamment de la COB Brésilienne. En 1990, alors que je venais d’adhérer à la CNT, c’est l’un des premiers militants bordelais que j’ai pu rencontrer. Avec Flo, Jean-Michel, Pascal et Evariste. Dès lors, nos combats furent les mêmes et nous nous sommes toujours retrouvés dans les débats internes à défendre les positions maximalistes face à ceux qui rêvaient de construire un SUD bis, rouge et noir. A coté des combats syndicaux, Michel n’a jamais oublié l’importance de la propagande et des luttes plus générales. Il avait participé au cinéclub du 19 juillet qui des années 60 à 80 diffusait une contre culture à Bordeaux. Les milieux libertaires bordelais et notamment l’athénée libertaire de la rue du Muguet l’ont bien connu. En janvier 2002, quand la mairie a voulu détruire l’ancienne bourse du travail du 22 rue Lalande, il était là, au milieu des jeunes – dont bon nombre de cénétistes – qui avaient lancé l’occupation du lieu. Lorsque nous avons créé les éditions du temps perdu, à Pau, il s’est tout de suite proposé pour faire le relais de la diffusion sur Bordeaux. Michel avait également produit plusieurs articles sur le mouvement ouvrier. Et quand la mairie de Bordeaux a tenté d’enlever le local à la CNT, tentant de nier la représentativité qu’elle a acquis dans cette ville en tant qu’organisation issue de la résistance, Michel était encore le premier pour sonner la charge. Je pourrai multiplier les exemples, une phrase suffit : dans les moments importants, il était toujours là.
Maintenant je pense au vide qu’il laisse et qui touche de plein fouet nos compagnes et compagnons bordelais, sa famille et ses amis. En ce jour, le dernier qu’il a connu, où la triste nouvelle me tombe dessus, une déclaration de Lorca tourne en boucle dans ma tête : « Yo en este mundo siempre soy y seré partidario de los pobres. Yo siempre seré partidario de los que no tienen nada y hasta la tranquilidad de la nada se les niega. ». Elle lui va si bien… que la tierre sea leve de tu cara, compañero.
La mise en bière aura lieu à la chambre funéraire des Pompes Funèbres Régionales de Pessac (110 avenue Jean Jaurès) mardi 15 avril à partir de 13H00. Le lendemain est réservé à la famille.
La cérémonie aura lieu au crematorium de Mérignac le MERCREDI 16 AVRIL à 13h