Comment penser une société sans en penser le degré d’épanouissement intellectuel de ses membres ? Si au premier abord toute société a besoin d’un apport culturel, celui-ci est dépendant de la forme politique (au sens large, c’est à dire des interactions de la communauté).
En effet, dans un État despotique, l’apport culturel prendra corps dans un embrigadement très dirigé des populations [1].
Dans une république libérale et capitaliste, l’inégale répartition des richesses entraine inévitablement un apport culturel préférentiel et de classe [2], et ce malgré la liberté apparente. En effet, là ou se concentre l’argent et donc le pouvoir, on trouvera un contrôle des publications en faveur des classes dirigeantes, c’est à dire liées à leurs intérêts économiques et politiques.
Le moteur des relations humaines est l’échange, et ce jusque dans l’épanouissement intellectuel de l’individu. A priori, celui-ci pourrait paraître isolé, mais il n’en est rien, puisqu’il est impossible de penser un développement individuel sans apports extérieurs.
Mais aujourd’hui ces apports sont très restreints, et si l’effervescence intellectuelle est théoriquement possible, elle se heurte en pratique à des moyens matériels limités et monopolisés [3], des instances réticentes, des procédures décourageantes [4] et une simplification à l’extrême des idées, des pensées, voir même à une caricature grotesque et autoritaire [5].
Face à cela, nous proposons d’édifier une responsabilité individuelle et collective devant l’accomplissement culturel : chacun doit être libre de s’instruire ou non, mais de surcroit la collectivité a le devoir d’apporter à tous, et de façon égale, l’accès à tous les moyens culturels que nous offre l’esprit, et ce gratuitement.
C’est aussi pour cette raison que nous sommes anarchistes. Car partant du principe admis ci-dessus que notre développement individuel et collectif est intrinsèquement lié à nos échanges, plus haut sera le degré de liberté et d’égal accès à la culture, et plus haut sera le degré d’accomplissement de la communauté humaine et de l’individu la composant.
Mais cette réalisation, à première vue utopique et pourtant réalisable, est uniquement corollaire d’un système supposant en lui-même la liberté et l’égalité réelle : le communisme libertaire, ou plus communément l’anarchie. Car seul ce système sait concilier, par le débat permanent qui l’anime, les dissensions inhérentes à toute société humaine, et contrairement aux autres systèmes (despotique, républicain, etc.), il n’étouffe pas le débat [6], et donc prend en compte les dissensions pour les résoudre.
Ce système sans classe, sans autorité coercitive, basé sur la responsabilité de l’individu face à sa propre existence et sur l’entraide comme sur l’égalité, est seul garant d’une culture libre et égalitaire, car n’opposant pas des groupes d’intérêts entre les mains desquels la culture serait une arme comme elle l’est aujourd’hui.
Mais parce qu’il ne suffit pas d’attendre les bras croisés, à la CNT-AIT nous nous engageons à lutter sur le terrain culturel par des actions concrètes visant à l’émancipation intellectuelle des classes laborieuses.
Dans la mesure de nos moyens et de notre potentiel militant, nous nous engageons à fournir au peuple des armes culturelles pour se défendre, à organiser des projections de films, des débats, à ouvrir à tous notre modeste bibliothèque et nos points de vue, à insuffler partout où cela est possible la réflexion comme moteur de l’action populaire et à diffuser largement les idées, et ce de façon libre et désintéressé [7]. Échanger, réfléchir et agir, tels sont les volontés des compagnons de la CNT-AIT, qui sont là pour vous et pour la communauté humaine.
CULTURE ET LIBERTÉ !
CNT-AIT 63
[1] Pour exemple les autodafés et la censure sous le nazisme en Allemagne et le fascisme en Italie et en Espagne. D’autres régimes despotiques antérieurs, comme les monarchies ou les oligarchies, ont également copieusement censuré.
[2] On observe clairement aujourd’hui la main-mise des autorités capitalistes sur les médias et sur la presse, comme le prouve l’ouverture aux capitaux pour les groupes de presse. Ainsi des groupes d’intérêts financiers possèdent des moyens de communication majoritaires qu’ils octroient préférentiellement en fonction de leurs intérêts.
[3] Les groupes de presse comme Lagardère possèdent de très nombreux journaux et moyens de communication, qu’ils contrôlent donc de façon intéressée. C’est cette monopolisation par des grands groupes, inhérente au capitalisme, qui étouffe toute possibilité d’opposition des idées, de débat, et donc de progrès.
[4] Pour exemple les procédures de création et de diffusion d’un journal, où il faut envoyer des exemplaires à la BNF et au ministère de l’Intérieur, où il faut déclarer des tas de chose. Se reporter au site de Légifrance.
[5] « L’anarchie c’est le chaos… » : qui n’a jamais entendu une phrase du style ? On pourrait, en voyant la révolution espagnole de 1936 dire « …et pourtant ils l’ont fait ! ». Jeter le discrédit, même de façon diffamatoire, sur une idée est une façon courante de maintenir un pouvoir autoritaire en place.
[6] Car qu’est-ce que le débat dans une république libérale ? On pourrait le résumer à des votes intempestifs, des médias contrôlés (les grands groupes de presse capitalistes comme Lagardère, etc.), des affiches publicitaires, des slogans martelés, des pots-de-vins, etc.
Bref le débat ressemble ici beaucoup à une vente à la criée ou à une affaire spéculative, et non à un débat de fond. Il suffit de voir quelle sort a été réservé à la constitution européenne pour nous rendre compte de l’estime des parlementaires pour le débat : rejetée en 2005 par référendum, elle passe en 2008 par voie parlementaire. Cette démocratie à deux vitesses n’est qu’un semblant de démocratie, tout au plus une oligarchie élue tout les 5 ans.
[7] « Libre et désintéressé » car pour nous, présenter un projet de société, c’est déjà nous mettre en accord immédiat avec ses valeurs. Anarchistes, nous rejetons le profit, la concurrence, l’écrasement de l’autre et l’individualisme. Nous préférons à cela l’entraide, la liberté et l’égalitarisme, et être anarchiste, c’est pour nous adopter dans l’immédiat une position philosophique et réelle de nos valeurs.
