Article écrit par un militant de Bordeaux et paru dans le Combat Syndicaliste n°232 – Mars/Avril 2011.
Il en a toujours été ainsi du progrès : la meilleure des inventions, la plus belle des découvertes se trouve dévoyée par des usages funestes. Mais ça n’est pas tant le progrès par lui-même, ou la technologie en soi qui produit cet effet malheureux, mais bien le système dans lequel se déploient ces découvertes et inventions. Le choix des recherches, l’investissement humain dans le développement est guidé non par le désir d’améliorer les conditions de vie de l’humanité, la préservation de la nature, mais par la recherche du profit et ses conséquences : contrôle social, consumérisme, idéologies oiseuses, etc. Aucun choix n’est réfléchi autrement qu’à travers le prisme du capital. Et les conséquences des choix opérés ne sont pas mises sur le compte des apprentis sorciers qui nous ruinent la planète mais sur les usagers ordinaires à qui l’on impose ces choix quand ceux-ci ne s’imposent pas tous seuls, dépassant le contrôle de leurs maîtres.
La science n’est plus qu’au service du délire productiviste, et elle nous est présentée comme une chose qui est, alors qu’elle se fait, pour citer Elisée Reclus qui prévenait : ”le savant d’aujourd’hui est l’ignorant de demain. Laissons-le imaginer un instant qu’il a atteint le terme, et ce sera une raison suffisante pour qu’il descende plus bas que l’enfant nouveau-né [1]. Ils ont oublié cela, ces experts qui prétendent savoir ce qui sera. Ils ont oublié cela, nos gouvernants qui s’appuient sur eux et veulent se servir de la science pour gouverner.
Faut-il pour autant renier les progrès scientifiques et technologiques parce qu’ils servent le capitalisme ? Faut-il renoncer au confort de certains, nous entre autres, dans la mesure où ce confort se paie de la douleur ou de la misère de ceux qui n’y ont pas accès ? Renoncer à l’industrie parce qu’elle a pollué les terres, les eaux et l’air ? Nous aurons ainsi profité du progrès et nous aurions à dire à ceux qui auraient voulu le partager : non, ça ne sera pas pour vous parce que cela a été bon pour nous mais vous a trop coûté. La vieille menace du choix entre la bougie et le nucléaire qu’on nous a servi jadis, nous la ressortirions à notre tour, dans une position hégelienne classique : une thèse, l’antithèse et des deux une synthèse unique. Kropotkine a montré les limites de ce dialectisme : plusieurs synthèses sont possibles, parfois aucune.
On peut poser le problème autrement, c’est à dire en considérant la science et la technologie en dehors du système de production et de consommation capitaliste. Dans un système communiste libertaire, le choix de la technologie est imposé non plus par la recherche du profit mais par la satisfaction des besoins de chacun. La décroissance, comme diminution de la production sera une conséquence possible : qui a envie de travailler plus que ce dont il a besoin pour satisfaire ses besoins, et globalement, s’il n’y a plus de profit à rechercher, quel besoin aurait-on de produire plus que ce qui est nécessaire à la satisfaction de tous ? En diminuant la place donnée au travail, en faisant du consommateur un individu responsable, la technologie et la science seraient au service de la société et de chacun. Il n’y aura plus besoin de produire toujours plus pour gagner toujours plus mais d’adapter au contraire la production aux variations locales des besoins. Les choix scientifiques et techniques se retrouvant au service de ceux qui en ont l’utilité, on peut se dire que des pans entiers de l’industrie disparaîtront avec des pans entiers des services et des administrations. La responsabilité individuelle réelle qu’impose un système où chaque individu aura à participer et décider des choses qui le concernent sera sans doute producteur d’autres besoins, en terme d’éducation, de maîtrise des sciences et technologie, etc.
L’idée de sauver le monde de sa fin programmée par les atteintes folles du progrès technique et scientifique en revenant à un primitivisme tribal est dangereuse : qui imposera à ceux qui n’en ont pas envie de renoncer à l’eau courante, à l’électricité ? De quel droit ? Cela reviendrait à investir des maîtres du pouvoir de décider à la place des autres de ce qui est bien pour tous. Ce serait le retour du pouvoir, de l’autorité et bientôt du capitalisme.
Changeons d’abord de système, détruisons le capitalisme et l’on verra après quelles machines seront à détruire à leur tour.
[1] ”E. Reclus, cité dans “Écrire la terre en libertaire”, Éditions du temps perdu