Article écrit par un militant de Bordeaux et paru dans le Combat Syndicaliste n°232 – Mars/Avril 2011
Après le classement de la ville de Bordeaux au patrimoine mondial de l’UNESCO, la municipalité se sent pousser des ailes de rapace et se lance dans le nettoyage social (et ethnique) des quelques quartiers populaires restants qui tombent les uns après les autres (1). À Saint-Michel, une poignée de propriétaires, de locataires et de sympathisants ont décidé de faire de la résistance.
Gentrification : processus par lequel le profil économique et social des habitants d’un quartier se transforme au profit exclusif d’une couche sociale supérieure.
Si le mot semble ne jamais avoir été autant utilisé, le phénomène lui-même n’est pas récent. Pensons simplement à cette horrible chose qu’est devenue la « commune libre » de Meriadeck, quartier cosmopolite et ouvrier qui accueillait et abritait chiffonniers, immigrants, bars et bals populaires et maisons closes. À la fin des années cinquante, Chaban va lancer un projet de rénovation qui va, dès le début des années soixante, se transformer en restructuration pour faire de Meriadeck le quartier d’affaires de Bordeaux. Cassez-vous les pauvres, faut qu’on fasse du fric.
Bis repetita non placent (2)
La mairie actuelle, via son bras armé InCité (3), s’apprête aujourd’hui à faire de-même avec le quartier Saint-Michel, véritable insulte au bon goût bourgeois et dernier écueil gênant pour l’industrie touristique. Pas de quartier d’affaires sur ce coup, mais simplement une volonté de remplacer une population par une autre. Virer une classe pour la substituer par une autre ; une qui peut payer des loyers plus élevés, qui peut consommer dans des magasins plus chers. Pour ce faire, InCité a une méthode infaillible. Après visite d’experts, les propriétaires se voient dans l’obligation de remettre l’habitation aux normes, en ravalant la façade au passage. De nombreux propriétaires ne peuvent engager de tels travaux, et se voient alors souvent contraints de vendre. C’est là qu’InCité, toujours mis au courant de la moindre vente, déboule et déballe son droit de préemption (4), avec dans la majorité des cas une offre inférieure – parfois jusqu’à 50% – à la valeur réelle du bien. Et InCité n’est pas folle : elle s’attaque en priorité aux personnes âgées et/ou maîtrisant mal le français. Et face à un refus, sa technique est tout aussi délicate : mensonges, harcèlements, menaces, etc. Quant aux locataires, relogés soit-disant temporairement dans des logements trop petits, vétustes, et avec un bail précaire, beaucoup sont déjà partis…
Tout cela ne serait pas vraiment choquant si InCité ne se présentait pas comme bailleur social. Or en matière de logement social sur le quartier Saint-Michel, le privé s’élèverait à 30% contre… 2% pour le public(5) ! Il suffit de lever le nez en se baladant : de nombreux immeubles acquis par InCité ces dernières années restent désespérément vides. Pourquoi s’emmerder à louer à bas prix à des pauvres alors que d’ici quelques années, une fois le quartier « réhabilité », les habitations pourront être vendues ou louées à des prix bien supérieurs. Sous couvert de social, InCité est en fait une machine à faire du fric, une entreprise capitaliste comme les autres.
Résistance populaire
Dans l’ombre de la flèche Saint-Michel, la résistance commence à se faire entendre. Même si de nombreux habitants ont déjà eu à titre individuel des démêlés avec In-Cité, le Collectif Saint-Michel (6) est lui tout récent et encore en phase d’organisation. Après une opération tractage organisée lors d’une des dernières réunions de concertation (7) en présence de Fabien Robert (maire-adjoint de quartier) et la rédaction d’un journal mural qui a bien du mal à rester très longtemps sur les murs, une première réunion a été organisée ce samedi 19 février, rassemblant une cinquantaine de personnes (8). Proprios, locataires, anciens habitants ou amoureux du quartier rassemblés (9) autour d’une idée commune : s’opposer à cette grosse machine qu’est InCité.
La première heure a été consacrée à expliquer à l’assemblée, chiffres et témoignages à l’appui, comment cet organisme s’y prenait pour virer les gens et racheter les immeubles à bas prix. La deuxième heure a quant à elle été consacrée à trouver des moyens d’actions qui auraient un réel impact, qui gêneraient et feraient de la mauvaise publicité à InCité, en soulignant le fait que la médiatisation serait un atout. Bref, une bonne vieille assemblée populaire comme on les aime, où chacun, quel qu’il soit, pouvait prendre la parole, poser des questions, donner son point de vue ou faire des propositions.
Quelques pistes ont été ouvertes et rendez-vous a été pris pour une prochaine réunion.
À suivre…
(1) Belcier/Saint-Jean et ce qui restait de sympa à Saint-Pierre entre autres.
(2) Ce qui est répété deux fois ne séduit plus.
(3) Société d’Economie Mixte, détenue en majorité par la mairie de Bordeaux, et la Communauté Urbaine de Bordeaux.
(4) Le droit de préemption est un droit légal ou contractuel accordé à certaines personnes privées ou
publiques d’acquérir un bien par priorité à toute autre personne, lorsque le propriétaire manifeste sa volonté de le vendre.
(5) Je reprends ici les chiffres donnés par un des intervenants de la dernière réunion du collectif.
(6) http://collectifsaintmichel.wordpre…
(7) Réunions très peu voire pas médiatisées, où ne sont conviés que des gens dont la mairie sait qu’ils
vont « dans son sens ».
(8) Parmi lesquelles le conseiller général PS du canton, Matthieu Rouveyre. Attention aux récupérations possibles…
(9) Assemblée malheureusement peu représentative de la population cosmopolite du quartier.